Le BIM (Building Information Management) en France, état des lieux et perspectives

Vous venez de rejoindre la division immobilière des services du Premier Ministre, après diverses expériences et récemment à la Direction immobilière de l’Etat où vous étiez notamment en charge de la stratégie BIM interministérielle.
Vous avez contribué à l’élaboration de l’ouvrage intitulé « BIM et maquette numérique : guide des recommandations à la maîtrise d’ouvrage ».
Pouvez-vous nous dire où en est la France sur le sujet du BIM ?

On est dans une situation où pour l’instant, puisqu’au niveau de l’Etat on est encouragés mais pas obligés comme c’est le cas dans d’autres pays, l’évolution est aujourd’hui plus à la main des professionnels. C’est un peu plus compliqué pour avancer, le moteur de l’obligation étant absent, chacun y va selon son rythme et sa méthode. Néanmoins, on est dans une posture où la France n’est pas en retard, puisque beaucoup d’acteurs sont mobilisés sur le sujet, mais elle n’est pas en avance non plus car il existe une vraie fracture entre les personnes qui ne sont pas du tout impliquées et celles qui sont prêtes. C’est quelque chose que l’on constate de manière générale sur l’ensemble du secteur.
Ensuite il y a la maturité. On parle encore souvent du maître d’ouvrage mais on parle encore très peu du propriétaire. Or le gros avantage qu’il est possible de tirer du BIM pour ce côté-là de la profession c’est essentiellement pendant l’exploitation/maintenance, bien au-delà de la phase opérationnelle.

Il y a souvent une rupture : une maquette BIM est faite en phase de conception et ensuite il y a des évolutions, ça ne passe pas forcément en exploitation/maintenance vous confirmez ce point ? Est-ce un sujet bloquant, un frein ?

J’ai l’habitude d’aborder cela de la manière inverse. C’est-à-dire que sans parler de BIM, il y a une fracture entre la partie opération et la partie exploitation/maintenance.
Souvent il y a des difficultés d’acheminement des informations, des documents, quand la maîtrise d’ouvrage a terminé sa mission elle s’en va, c’est le propriétaire et l’exploitant qui récupèrent l’ouvrage souvent avec une rupture d’information. Ils n’ont pas été forcément impliqués dans le projet, ce qui fait que sur la plupart des opérations immobilières cette fracture existe et pose des vraies difficultés. On l’a vu notamment avec les démarches HQE, où par exemple des opérations étaient construites et conçues de manière optimale, mais en l’absence de continuité sur l’exploitation/maintenance les bâtiments n’étaient pas utilisés selon l’usage qui était prévu à la conception. Donc cette fracture existe, mais à mon sens ce n’est pas que le BIM ne fonctionne pas à cause de ça, c’est que le BIM peut être une réponse. Le fait d’avoir une numérisation de l’information, un développement de cet aspect-là notamment à travers tous les dispositifs et systèmes qui doivent équiper le bâtiment, on peut espérer réduire cette fracture que ce soit à travers les automatismes ou à travers l’accessibilité des interfaces. Je pense que le BIM est plus un paramètre qui permettrait de réduire cette fracture qu’un élément de dysfonctionnement.

Quel est l’intérêt de mettre en place une démarche BIM ? Quels peuvent en être les bénéfices notamment pour l’exploitation/maintenance ?

Il y a encore très peu de retours d’expérience sur cet aspect-là, parce que le BIM s’est d’abord développé au niveau de la conception. Maintenant il irrigue toute la phase réalisation mais la phase exploitation/maintenance est encore très peu développée. On voit par contre apparaître des processus qui se mettent en place, s’apparentent au BIM -je pense notamment au Building Operating System (BOS)- qui rentrent dans cette démarche d’interopérabilité de l’information et des équipements. Après cela dépend de la définition qu’on accorde au BIM. Il y a beaucoup de gens qui accordent au BIM juste la définition de la maquette numérique. Nous sommes très loin de cette approche limitée, j’évite de parler de maquette numérique pour m’intéresser surtout à un modèle numérique, ça change complètement la démarche puisque quand on parle de modèle, de modélisation, on est beaucoup plus sur une base de données que sur une représentation graphique. Par contre en exploitation/maintenance, quand on peut se dire qu’on est sur un sujet BIM, le processus BIM est quand même de raccrocher des informations à une modélisation objet, qui représente même de manière non visuelle le bâtiment. Ce raccordement aux objets fait que l’on entre dans un processus de gestion de l’information tel qu’on l’identifie dans le BIM.

Quels sont les freins actuels ?

Le plus gros frein est le temps du bâtiment. Pour du neuf, le sujet est plutôt de réduire cette fracture entre l’opération et l’exploitation/maintenance. Pour l’ancien, c’est toute la charge de faire passer un cap au bâtiment existant pour le mettre sous un format numérique. Autant sur du neuf, on bénéficie de l’aubaine car de toute façon, toute la conception se fait sous format numérique. Le fait de bénéficier de cette aubaine pour récupérer l’information sous format numérique, je ne dirais pas que ça se fait naturellement, mais il y a une opportunité en tout cas. Alors que sur de l’existant, les bâtiments ne sont pas représentés sous format numérique, il y a rarement eu un travail sur les équipements numériques et un système d’information immobilier. Un décret de 2020 a imposé la mise en place de BACS (Building Automation and Control System). On y tend, on y va mais le temps du bâtiment est long par rapport au temps du numérique. C’est-à-dire qu’on ne fait pas changer un bâtiment du jour au lendemain, pas n’importe comment. Il faut du temps et des investissements. Il ne faut pas le faire n’importe comment car il faut assurer une pérennité sur plusieurs décennies. Ce n’est pas aussi simple.

C’est difficile et tant que ce n’est pas obligatoire, il y a un certain immobilisme ?

Tant que ce n’est pas obligatoire, les gens ne vont pas forcément s’y atteler parce qu’ils ont d’autres urgences par rapport à ce travail de longue haleine. Ce n’est pas forcément très difficile mais c’est un travail pour lequel il faut se précipiter lentement. Quand on le commence, on sait qu’on va finir presque 10, 15, 20 ans après, mais tant qu’il n’est pas engagé, l’échéance recule. C’est le temps du bâtiment.

Quelles sont les avancées du plan BIM 2022 ?

Le plan BIM a apporté beaucoup. Déjà il est dans la directe ligne du Plan Transition Numérique dans le Bâtiment (PTNB) qui le précédait. Il y a quand même une continuité d’action. C’est justement à travers le PTNB qu’est paru l’ouvrage « BIM et maquette numérique : guide des recommandations à la maîtrise d’ouvrage ». Et c’est dans cette instance que j’avais travaillé sur ce sujet et le plan BIM a permis d’aller un peu plus loin. Le BIM est une matière encore en cours de maturation.
Entre le PTNB et le plan BIM, on parle de presque 10 ans d’écart (2015), beaucoup de choses ont évolué, se sont développées, la normalisation s’est mise en place. Le plan BIM suit toutes ces évolutions pour apporter aussi des solutions, je pense notamment à la plateforme ouverte ORELIE pour rédiger des cahiers des charges pour les maîtres d’ouvrage.

Pensez-vous que le déploiement du BIM va s’accélérer ?

A mon sens, à court terme, je pense que ça va se développer encore. On pourrait entrer dans une phase exponentielle. Je vous dis ce à quoi me mènent mes réflexions, peut-être que je me trompe mais effectivement je pense que l’on ne va pas avoir un décollage fulgurant tout de suite, mais à moyen terme, il va y avoir un déclenchement.
Il y a une pression internationale avec une révolution des usages dans la construction qui fait que le BIM se développe partout. La France ne doit pas se faire distancer à ce niveau-là, les professionnels surtout. L’autre aspect est que l’on a des exigences de plus en plus drastiques sur les bâtiments -je pense à la Loi ELAN par exemple- qui posent des exigences tout simplement inaccessibles dans une démarche traditionnelle. Il faut passer à un niveau supérieur sur la maîtrise et le contrôle des bâtiments pour arriver à atteindre de tels objectifs.
Le dernier point est que même si ce n’est pas pour le moment encore obligatoire -je ne sais pas si ça va le devenir ou pas- mais en tout cas je sais qu’il y a des réflexions au niveau de la Communauté Européenne pour mettre plus en exergue, pas forcément l’obliger, le BIM dans la commande publique et la DIE (Direction Immobilière de l’Etat) va aussi pousser les ministères et toute la sphère publique Etat à rentrer dans une démarche BIM.

Quels sont les pays avancés, y a-t-il des pays référents dans ce domaine ?

En Europe on n’est pas mal mais on n’est pas forcément les plus avancés. Il y a le Royaume-Uni qui a imposé assez rapidement le BIM et bénéficie d’une petite avancée même si je ne rejoins pas forcément tous les concepts qu’ils ont développés.
Les pays scandinaves sont très en avance sur le sujet, en allant chercher un peu plus loin, vous pouvez trouver par exemple Singapour qui est un cas particulier mais qui est complètement bimé sur tout son territoire, on peut trouver plein de situations différentes. Comme on l’a dit tout à l’heure, on n’est pas dans des situations encore très matures. Tous ceux qui étaient en avant-garde ont pu développer leur vision du BIM.

Et en France on n’a pas les moyens d’avancer aussi ?

Si vous prenez Singapour par exemple, qui est à une échelle géographique plus proche d’une petite région, forcément on n’est pas sur le même niveau. Si l’on se compare à des pays plus similaires à nous, comme l’Italie, ils ont un peu dans la même démarche. Eux viennent d’imposer le BIM dans leurs marchés. Il y a un point particulier qu’il faut bien identifier par rapport à la France, c’est qu’elle est encore très portée sur un texte qui est pourtant abrogé, la loi MOP, qui a été repris dans le code de commande publique. Et mine de rien, c’est un texte qui a façonné y compris la maîtrise d’œuvre sur les marchés privés. Ça a un peu formalisé le secteur de la conception et de la réalisation en France et c’est vrai que ce texte, repris dans la commande publique, est très séquentiel. Ce qui est à l’inverse de la co-construction prônée par le BIM.

Un point à aborder en conclusion ?

Un point intéressant est qu’aujourd’hui, beaucoup de gens se sont mobilisés sur le BIM des opérations. Le secteur de l’exploitation/maintenance est resté très peu exploré, il y a beaucoup de velléités, de plus en plus. Mais c’est un sujet beaucoup plus complexe en terme de nombre d’acteurs, de durée dans le temps. Il y a beaucoup de questions propres à cette phase du cycle de vie d’un bâtiment qui rentrent en exergue. Sachant que si l’on reprend les éléments du coût global, sur le cycle de vie d’un bâtiment, le poids financier porte à plus de 70% sur la phase exploitation/maintenance. On voit bien que les gains financiers qui peuvent être attendus sont essentiellement sur cette partie-là. Néanmoins il ne faut pas oublier aussi que la conception et la construction pèsent par contre pour quasiment, si je me souviens bien, plus de 90% sur l’existant. C’est-à-dire que tout ce qui a été décidé dans la conception, la manière dont ça a été mis en œuvre, les produits qui ont été fournis, sont déterminants pour 90% sur les coûts d’exploitation/maintenance qui pèsent 70%. C’est là qu’il y a réellement un enjeu à parvenir à relier les deux.